Vous avez évoqué l'importance de rendre les choses impermanentes dans votre travail. Comment cela se traduit-il dans vos photographies ? Comment parvenez-vous à donner à vos sujets une dimension intemporelle ?
Lorsque je parle de rendre les choses impermanentes, je veux dire qu'il est essentiel pour moi de sortir du contexte temporel. Je ne souhaite pas que mes photos puissent être datées. Je souhaite qu'elles portent une sorte de voile d'éternité, sans éléments trop identifiables liés à une époque précise. C'est pourquoi, lorsque je travaille avec des modèles, je leur demande de venir sans bijoux, accessoires ou maquillage, afin de préserver leur naturel. Cela s'applique également au choix des décors. Je préfère les environnements naturels plutôt que les villes, en privilégiant notamment les bords de mer, car c'est là que j'ai grandi. J'apprécie aussi les lieux difficilement identifiables. Ce que j'aime, c'est que peut-être dans 50 ans, quelqu'un regardera ces photos sans pouvoir les dater précisément. Elles pourraient être du milieu du 20e siècle ou de la fin du 19e, on ne sait pas vraiment, et c'est cela qui m'intéresse. J'aime aussi donner l'impression qu'un état de grâce s'est figé dans le temps, imprégnant la pellicule pour l'éternité. Même s'il y a une part de mise en scène, je cherche avant tout à transmettre cette idée à travers mes photos.
Comment la réalisation de films et la photographie argentique se complètent-elles dans votre pratique artistique ? Quels sont les points communs et les différences entre ces deux formes d'art ?
La pratique de la photographie a indéniablement influencé mon travail de réalisateur. Mon regard s'est affiné sur la composition, la forme, la géométrie et les couleurs. J'ai également passé beaucoup de temps en studio à diriger des personnes qui n'étaient pas des comédiens. Le studio représente un exercice difficile, car il s'agit de créer une histoire, un portrait à partir d'un simple fond noir et d'une personne. Cela a énormément contribué à ma capacité à communiquer avec les modèles, en leur transmettant des sensations à la fois techniques, comme le placement des bras, du regard, des jambes ou du corps, et sensorielles, en cherchant à susciter une étincelle dans leur regard ou leur attitude. En photographie, la direction d'acteurs ou de personnages est principalement technique, axée sur la gestuelle et le placement, contrairement au cinéma et à l'audiovisuel où le dialogue et la transmission d'émotions sont plus présents. Les influences du cinéma classique, notamment les réalisateurs Bergman, Tarkovski et Kurosawa, ont également nourri ma photographie, en recherchant une certaine émotion dans mes images et en m'inspirant de leurs techniques de réalisation. La photographie et la réalisation communiquent beaucoup dans mon approche artistique.
Quels défis spécifiques avez-vous rencontrés en travaillant à la fois comme réalisateur et photographe ? Y a-t-il eu des moments de conflit entre ces deux rôles ?
Lorsque je dirige quelqu'un qui n'est pas un acteur, le défi réside dans la capacité à le rassurer et à lui parler de manière claire, afin qu'il puisse se laisser aller et se sentir guidé. Lorsque je suis concentré sur ce que je dis pour réussir mes photos, je n'ai plus rien d'autre à faire. Cependant, je dois reconnaître que la direction d'acteurs, que ce soit pour la photographie ou le cinéma, peut être technique et exigeante. En photographie, il s'agit principalement de gestuelle et de placement, tandis qu'au cinéma, il faut rechercher l'intention qui se cache derrière chaque scène ou chaque plan. Par exemple, dans un projet de série, j'ai invité des acteurs à raconter un cauchemar face à la caméra. Ce travail nécessite une immersion émotionnelle pour communiquer les sensations liées au cauchemar aux spectateurs. Je cherche à guider les acteurs en leur fournissant des outils et des indications pour qu'ils puissent puiser en eux-mêmes. La communication, la confiance et l'écoute sont essentielles pour maintenir ce lien émotionnel, même dans des moments difficiles ou stressants. J'aimerais revenir sur un point que vous avez mentionné : votre choix de l'argentique, qui demande du temps et de l'attention pour chaque cliché.
Diriez-vous que cela vous a aidé à développer une certaine patience dans votre travail de réalisateur également ?
Effectivement, l'argentique m'a appris la patience, tout comme le temps et l'expérience. J'ai toujours été relativement patient avec les personnes avec lesquelles je travaille. Lorsque je réalise des séances photo, je privilégie désormais des promenades photographiques où nous marchons dans des décors naturels, discutant et prenant des photos au gré de l'inspiration. Je souhaite créer des souvenirs non seulement dans l'esprit des modèles, mais aussi dans ma propre mémoire. Ces promenades chargent les photographies d'émotions et de souvenirs. Cela demande de la patience, car je ne veux pas demander aux modèles de venir, de poser pendant 20 minutes, puis de repartir. Cela prend au minimum 2 à 3 heures, mais nous avons des conversations enrichissantes. Vous mentionnez souvent l'importance du lien émotionnel, que ce soit avec les sujets de vos photographies ou les acteurs de vos films.
Comment maintenez-vous ce lien, surtout dans les moments difficiles ou stressants d'un tournage ?
Les tournages sont souvent intenses et stressants pour de nombreuses raisons. Pourtant, il est primordial que les acteurs se sentent protégés et qu'ils ne ressentent pas le stress du tournage, car cela ne les concerne pas directement. Leur priorité est d'incarner leur personnage, d'être le point focal de l'histoire que nous racontons. Lors de ces moments de tension, je dois être capable de faire la part des choses et de me concentrer sur l'interaction avec les acteurs pour mener à bien le tournage. Cela est rendu possible grâce à une équipe de confiance, malgré les éventuels problèmes qui peuvent survenir. Il est essentiel de rester connecté à son équipe, de dialoguer, même si cela peut parfois être difficile. L'équilibre entre rester concentré sur le film sans compromettre le tournage est primordial pour moi.
Pour conclure, comment envisagez-vous l'évolution de votre art à l'avenir ? Avez-vous des projets ou des aspirations que vous aimeriez réaliser ?
Avec l'exposition intitulée "Longtemps j'ai regardé la mer", j'ai l'impression d'avoir atteint un point où il est peut-être temps de tourner la page, tout comme je l'ai fait lorsque je suis passé du numérique à l'argentique. Il y a une forme de rupture qui se profile. Cette exposition symbolise des années de travail et de recherche sur des thèmes liés aux portraits évanescents, à la mer et à l'argentique, dans la quête de l'instant de grâce ultime. J'ai le sentiment d'avoir atteint ce que je cherchais, et il est peut-être temps de tout recommencer à zéro ou d'évoluer vers quelque chose de nouveau. Par exemple, je pourrais explorer l'utilisation de la chambre photographique ou revenir à des mises en scène plus complexes, plus en lien avec mon métier de réalisateur. Je n'ai pas encore pris de décision. Je suis en quête de nouvelles voies à suivre.
Propos recueillis par Vincent Moschetti, On Film Only