Deviens (2021)

Narrative

Prix : Style expérimental film festival L.A, International Film Festival for Children and Youth KINOLUB

Achat TV : OCS.

Sélections : Chicago international film festival, Interfilm Berlin, Richmond international film festival, Ciné-Jeune de l’Aisne, Children film festival (Seattle), DAN.CIN.LAB, DANCECINEMA, InShadow,  Seoul Guro international film festival, Cuerpo Mediado Festival de Videodanza, Flatlands Dance Film Festival, Ciné-Jeune de l’Aisne, Festival International du Film de Nancy, Short movies in Prilep


Avec Mathias Heymann.

Produit par BitOfBoth et GoCinema


JOURNAL DE BORD DU TOURNAGE

tournage du film Deviens de Adrien Lhommedieu sur la plage de Berck-sur-Mer
L'équipe sur film sur la plage de Berck-sur-Mer


À la fin de mes années d’études, je suis parti vivre à Los Angeles. J’ai fait la rencontre de Julien Mabin en travaillant au département audiovisuel du Consulat de France et une sincère et longue amitié est née entre nous. De jeunes adultes à jeunes parents, nous sommes restés très proches même à notre retour en France. Julien est devenu producteur et je suis devenu réalisateur. Naturellement, nous nous sommes rapprochés pour collaborer sur notre première fiction.


Repérages techniques à Berck sur la côte d'Opale.

J’ai pitché à Julien une idée très sommaire réunissant mon attirance pour la mer et ma passion pour la danse classique. Julien, séduit par l’idée, me suggéra d’aller plus loin dans l’écriture en développant la thématique de l’enfance.

Je ne m’explique pas l’obsession et la fascination que j’éprouve pour la mer et en particulier la petite ville du littoral où j’ai grandi : Berck.

Peut-être est-ce lié à ce sentiment d’immuabilité qui m’envahit chaque fois que je marche sur le sable. Cette sensation que la mer sera toujours là alors que mes certitudes d’adultes s’effondrent, jour après jour.

Ce lieu vers lequel je reviens magnétiquement est une ancre dans le chaos de ma vie. Une zone de paix, loin de la guerre du quotidien et de sa trivialité.

L’environnement marin a toujours eu sur moi un effet reposant et réconfortant. Et plus le ciel est gris et tourmenté, plus je me sens bien et en sécurité, près des vagues violentes, entre les mains d’un vent glacial.

C’est ce sentiment qui a nourri l’écriture de mon dernier film DEVIENS. Il raconte l’histoire d’un petit garçon qui rencontre un danseur sur la plage. Cette vision devient le catalyseur d’un rêve qu’il porte en lui sans pouvoir l’assumer : devenir danseur.

En sortant le danseur étoile de son environnement quotidien qu’est la scène de l’Opéra, je voulais connecter ces deux planètes par ce qu’elles ont de plus en commun : la grâce.

La grâce des paysages de la côte d’Opale avec la grâce d’un des plus grands danseurs, vu par les yeux d’un enfant.

Tournage en bord de mer

Filmer la danse est un défi qui m’a beaucoup stimulé. J’aime le ballet, j’aime le corps des danseurs et les mouvements qu’ils tracent dans l’espace. Mais pour s’approprier ces gestes, il faut autoriser la caméra à entrer dans la danse.

Le chef opérateur — qui cadre — devient alors le partenaire du danseur. Le mouvement de l’un trouve nécessairement son contre point chez l’autre. Je tenais à rendre la caméra vivante et organique, la plus proche possible de la performance pour saisir sa vivacité autant que sa fragilité. Aussi, mon intention était de changer le point de vue habituel sur la danse classique, où le spectateur est assis dans un siège, loin, et n’a pas la possibilité de bouger.

Dans le travail de Daren Aronovsky et son chef opérateur Matthew Libatique pour Black Swann, la caméra ose frôler les personnages. Elle s’intègre pleinement aux mouvements du corps, et cela m’a grandement influencé dans la manière d’aborder la danse.


Le défi était complexe, car la caméra, une fois totalement équipée, est un système lourd et difficilement manipulable. Pour s’accorder aux mouvements du danseur, le chef opérateur doit faire preuve d’une immense agilité et surtout être en état d’alerte permanent.

Malgré mon obsession pour la mer, je reconnais que les tournages en extérieur, en hiver, en bord de plage, sont particulièrement violents pour l’équipe technique et une véritable source d’angoisse pour la production. Nous avons fait au mieux pour anticiper un week-end clément en termes de conditions météo. Nous savions être à la merci des intempéries, mais il faut croire qu’une force veillait sur nous puisqu’excepté quelques averses, tout s’est déroulé comme nous le voulions et nous avons pu respecter le plan de travail dans sa majorité.

Matthias Heymann, danseur étoile de l'opéra de Paris sur la plage pendant le tournage


Si la cote d’Opale offre d’inépuisables fresques de couleurs et de lumières, elle est aussi capable d’accumuler les jours de grisaille et rendre tout ce vous essayez de filmer aussi plat qu’un dégradé de gris dans Photoshop. Malgré cela, le temps change vite et nous avons travaillé au rythme des nuages.

Je suis sorti de ce tournage anéanti, car beaucoup de choses ne s’étaient pas déroulées comme je l’avais imaginé, et ma conviction de réalisateur fut profondément ébranlée. C’était la première fois que j’étais confronté à une telle sensation d’échec et de rendez-vous raté avec mes rêves. Pourtant, toutes les conditions étaient réunies : un casting magnifique, le décor qui m’inspirait le plus, des conditions matérielles suffisantes et une équipe soudée et dévouée au tournage.

J’avais l’impression de ne pas avoir assez de matière pour fabriquer le film, de ne pas être allé assez loin dans ma recherche, d’avoir abandonné trop vite. Pourtant, avec le recul, je me souviens très bien de mon comportement lorsque les situations devenaient dangereuses pour le film. J’ai constamment mis mon découpage à l’épreuve. Quand les situations devenaient difficiles, j’ai écouté les conseils de mes proches collaborateurs, Stéphane (chef opérateur), Julien (producteur) et Lola (1ère assistante-réalisatrice), pour aller à l’essentiel de la narration.

Par exemple, j’avais initialement prévu une interaction entre le danseur et l’enfant, avec un jeu entre les deux et plusieurs plans en champs contre champs pour saisir la connexion qui se créait entre eux. Mais la journée précédant le tournage de cette séquence a été difficile et j’ai pris conscience qu’il fallait alléger encore plus ma mise en scène, au risque de mettre tout le film en péril.

Parmi mes autres obsessions, j’étais en pleine période Bergman. J’avais vu tous ses films et j’étais fasciné par la force avec laquelle il filmait le visage de ses comédiens. J’ai alors fait le lien entre ma problématique de mise en scène, mes contraintes techniques et l’approche de Bergman. C’est là qu’est né le gros plan de l’enfant qui regarde la caméra, filmé au ralenti, presque suresthétisé. D’un seul coup, le symbole tout entier de la connexion entre le danseur et l’enfant pouvait être résumé en un seul plan fixe.


Aujourd’hui, je me souviens de cette détresse. Pourtant, c’est un souvenir agréable et nostalgique qui me reste en mémoire. Je me souviens Soizic (rôle de la mère) faisant à manger pour toute l’équipe, de la table immense dressée face à la mer et baignant dans le soleil à l’endroit même où j’avais réalisé mon tout premier film il y a 15 ans, des couleurs du ciel qui tombaient dans les bâches d’eaux avec toute l’équipe qui se reflétaient dedans.

La postproduction m’a ramené à la réalité : c’était bien le film que je voulais faire. Ma sensation négative en fin de tournage n’était pas justifiée. Tao Delport, le monteur, a fait un travail de synthèse qui m’a redonné toute la confiance que j’avais perdue.

Soizik Belotti entre les prises

STÉPHANE DEGNIEAU - CHEF OPÉRATEUR

Lorsqu’Adrien Lhommedieu m’a proposé de faire ce film sur la notion de la vocation, j’ai adhéré au projet sans hésiter, car il s’agissait de danse.

Ce que j’apprécie, c’est qu’Adrien m’intègre très tôt dans la réflexion sur la direction artistique de ses projets. Nous passons beaucoup de temps à repérer les lieux, imaginer les axes de prise de vues et concevoir le découpage en fonction des photos de repérage. Nous décidons très tôt des heures idéales de tournage pour les parties extérieures jour dans l’idée de bénéficier des meilleurs axes lumière.



Raphaël Renucci dans le rôle du petit garçon.

Cette dernière notion est très importante, car elle impose parfois quelques sacrifices au niveau du plan de travail et c’est évidemment impossible de prévoir la météo en bord de mer, très changeant en fonction des marées. Mais notre expérience commune des films à la mer nous a grandement aidés à anticiper ces aléas.

Au départ nous voulions tourner en super 16 un film en lumière naturelle, avec de la matière et beaucoup d’ambiances de jour différentes qui vont si bien à l’argentique !

Les caméras films sont aussi un peu plus légères et résistantes aux intempéries et aux plages du nord (sable, vent, humidité …)

C’était aussi le souhait premier de Julien, le producteur, de tourner en pellicule, mais ayant vite constaté les difficultés du tournage nous avons bien heureusement décidé d’un commun accord de nous orienter vers une configuration numérique légère et flexible, adaptée au tournage sur la plage.

Je voulais une caméra assez légère et mon choix s’est porté sur l’Alexa Mini, une caméra que j’affectionne

particulièrement pour la « matière du capteur » et ses rushes en log C. Je trouve aussi qu’elle peut proposer un léger grain natif agréable en la poussant un peu en sensibilité.

Louna Lafaurie, assistante caméra.


Nous avons alors réfléchi au ratio du film (le super 16 nous avait mis la puce à l’oreille) et nous avons tourné les essais de la chorégraphie sur les lieux repérés en 16/9e avec mon Sony alpha 7SII et des objectifs olympus vintage. En regardant ces tests, il nous a paru évident qu’il fallait s’approcher du corps pour se laisser surprendre par l’amplitude des mouvements, mais aussi pour sentir l’effort et les émotions du danseur.

Le ratio 1,66 s’est imposé à nous. Nous avons aussi découvert qu’il n’était pas possible de capter toute la chorégraphie en caméra épaule. Adrien a découpé cette séquence de danse en plusieurs parties pour choisir la machinerie adaptée à chaque situation. D’ailleurs il s’est avéré a posteriori que la mini alexa était encore trop lourde dans nos conditions (sable, eau, dunes…).

Le gros avantage que nous avions pour choisir la machinerie c’était qu’il n’y avait pas de prise de son synchrone pendant le tournage, à part les décors dialogués.

Comme le découpage était précis, nous avons pu décider de prendre un quad et une remorque ainsi qu’un Ronin 2 pour faire certains travellings où il fallait donner de l’amplitude et laisser de la place à l’acteur/danseur.



Il y a même quelques plans en fameuse « chaise roulante », un inconditionnel qui marche toujours !

Nous avons utilisé aussi un ronin S avec dslr Sony alpha7S2 pour faire un plan rotation 360 degrés dans l’axe, plan qui n’a pas pas été retenu au montage.

Plan en rotation pendant le tournage
Test du plan pendant les repérages



Ceci dit, c’est très dur de gérer le poids de tout ça sur une plage avec des marées, du vent, de la pluie, et des zones d’eau peu profonde qui stagnent sur la plage…

nous avons manqué parfois de temps et de moyen pour faire l’ensemble des plans prévus, mais c’est le lot de tous les tournages.

Il faut aussi gérer l’enfant acteur qui ne peut rester avec nous toute la journée et la continuité lumineuse avec un ciel très changeant… parfois un bon casse-tête qui a soulevé des tensions malgré nous.

C’est un challenge de déplacer une équipe sur cette plage parfois hostile et je devais aussi décider de gérer la partie éclairage en prenant en compte l’équation légèreté/rapidité de mise en place/autonomie électrique.

Équipe technique du film Deviens

L’avantage c’est que le panel de projecteur LED sur batteries est aujourd’hui très riche, ce qui n’était pas le cas il n’y a pas si longtemps. Nous avions 2 Aladin biflex sur batteries ainsi que des réflecteurs et des tissus blancs/noir (le grand poly supporte mal le vent de Berck).

J’avais envie de faire une image plus contrastée que d’habitude, tout en utilisant des filtres Classic soft pour amener une texture supplémentaire, mais installer des surfaces blanches et noires pour gérer les contrastes sur une plage peut s’avérer un cauchemar quand l’équipe est trop réduite.

En intérieur nous avons utilisé plus de lumière, car il fallait gérer une continuité avec des jours très courts ; j’ai donc pris le parti de tout éclairer (école et salle de danse) afin de maitriser les intentions et les directions pour « améliorer » des décors pas toujours très photogéniques.

Nous avions aussi décidé d’avoir cette différence chaude/froide entre les intérieurs et les extérieurs. J’ai aussi fait le choix de tester les Sony ciné prime, moins doux que les sigma prime, afin de tourner à 2,8 / 4 en extérieur et 2 en intérieur, ainsi que les ralentis à 100im/s.

Nous avions aussi des séquences entre « chien et loup » et il fallait des optiques grande ouverture pour gagner un peu de temps sur la nuit.

Nous avons dû faire ces séquences sur deux soirs, car ce moment formidable pour faire des images est toujours trop court.

Il y a eu un peu de frustration au final, car nous manquions de plans pour le montage (une grosse demi-journée de pluie n’a pas aidé), mais je trouve que le côté condensé du propos et des interactions servent le film avec un ton particulier.

Je remercie aussi l’étalonneur Grégoire Lesturgie qui a fait un travail formidable sur la continuité et sur la finesse des contrastes choisis et des couleurs. La texture « retour sur film » est aussi très réussie et totalement maitrisée avec une exigence sans faille.

L’intégration des plans truqués (VFX) a été aussi très bien suivie.

Alexa MINI en logC / prores 444 / série Sony cine prime T2

Ratio 1.66 :1 (résolution 3,2 k en 16/9)


Stéphane Degnieau, directeur de la photographie
Stéphane Degnieau, directeur de la photographie

Tournage sur la plage de Berck
Tournage Alexa Mini

Crédits photo : Adrien Lhommedieu, Julien Mabin, Paul Mabin, Louna Lafaurie, Guillaume Offroy